Je suis eleveur canin
Je suis éleveur canin.
On m’accuse parfois de remplir les refuges, ou encore « d’utiliser l’utérus de mes chiennes pour m’enrichir ».
La réalité est bien différente : je ne fais qu’une portée environ tous les 18 mois.
Je suis éleveur canin.
Ce que je vois dans les refuges, ce sont rarement des chiens issus d’élevages rigoureux. On y trouve surtout des chiens croisés, et ceux qui restent le plus longtemps derrière les barreaux, ou qui reviennent sans cesse, sont souvent des chiens « croisés porte et fenêtre » comme on dit chez moi.
Je suis éleveur canin.
Mon rôle est de travailler la sélection d’une race. Nous ne choisissons pas au hasard : nous sélectionnons des caractéristiques précises, appelées patrons moteurs.
Un patron moteur, c’est la séquence comportementale inscrite dans l’ADN du chien, héritée de ses ancêtres chasseurs. Elle est composée de 8 étapes :
1?? Orientation / repérage → détecter une proie, un mouvement, un stimulus.
2?? Œil / fixation → regard intense, immobilité.
3?? Approche / traque → déplacement furtif vers la cible.
4?? Poursuite → course déclenchée par le mouvement.
5?? Attraper / saisir → prise en gueule.
6?? Secouer / tuer → mouvement réflexe pour neutraliser.
7?? Disséquer / déchiqueter.
8?? Manger / consommer.
? Selon les races, certaines étapes ont été renforcées, d’autres supprimées :
Le chien de berger : orienter, fixer, poursuivre, sans aller jusqu’à tuer.
Le chien d’arrêt : détecter, fixer, marquer l’arrêt, sans poursuite.
Le lévrier : poursuite et capture fulgurante.
Le retriever : attraper et rapporter sans détruire.
Le terrier : séquence complète, avec un accent sur attraper/tuer.
Le nordique / primitif : séquence quasi complète, proche du loup.
Le chien de compagnie : séquence largement inhibée.
C’est ça, le travail de l’éleveur : ne pas mélanger n’importe quoi, mais préserver un schéma cohérent.
Mais dans les croisements non réfléchis, on mélange parfois des patrons moteurs opposés. Résultat : des chiens extraordinaires dans leurs capacités, mais très compliqués à placer car leurs besoins sont immenses et spécifiques.
? Imaginez un berger croisé nordique : un chien incroyable, mais qui demande un maître expérimenté, disponible et très investi.
? Imaginez un chien de chasse croisé berger : dans sa tête, quand quelque chose bouge devant lui, l’instinct se mélange, la frustration s’installe, et son équilibre devient difficile à gérer.
? Imaginez un lévrier croisé terrier : d’un côté l’instinct de poursuite fulgurant, de l’autre la volonté de saisir et tuer. Vous obtenez un chien qui déclenche à la moindre proie et va jusqu’au bout de la séquence.
? Imaginez un retriever croisé chien de défense : d’un côté un chien sélectionné pour rapporter en douceur, de l’autre un chien fait pour mordre et tenir. Le mélange crée une énorme confusion dans la prise en gueule et le contrôle de sa morsure.
? Imaginez un chien d’arrêt croisé nordique : d’un côté un chien qui se fige devant la proie, de l’autre un chien fait pour poursuivre et consommer. Résultat : frustration, comportements compulsifs et rappel très compliqué.
? Imaginez un spitz primitif croisé chien de compagnie : d’un côté un chien très autonome, de l’autre un chien sélectionné pour la docilité et l’attachement. Tu obtiens un chien partagé entre indépendance et anxiété de séparation.
? Imaginez un chien de berger croisé terrier : d’un côté un chien qui canalise et poursuit sans attraper, de l’autre un chien qui saisit et secoue. Tu peux obtenir un chien qui passe brutalement de l’un à l’autre, difficile à gérer dans un contexte familial.
Ces chiens, qui remplissent les refuges, ne sont pas issus d’éleveurs qui connaissent leurs lignées.
Ils viennent de particuliers qui font naître « pour voir », sans se soucier de ce que deviendront ces chiots ni de leurs besoins spécifiques.
Et ce sont ensuite les refuges qui portent la responsabilité… et les chiens qui en paient le prix. Dans un monde ou l'humain est impatient .... Dans un monde ou l'humain accepte pas les "imperfections " du chien .... Dans un monde où on jette plus facilement que l'on ne répare....
Être éleveur, ce n’est pas faire reproduire pour reproduire.
C’est comprendre une race, ses besoins, ses qualités, ses faiblesses, et faire naître des chiens équilibrés qui correspondent à un profil de famille bien défini.
Je suis éleveur canin et je ne porte pas le poids des milliers voir millions d'abandon chaque année.